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Par Sonia Sutter
sonia.sutter@artis-facta.com
Pascale Soulard
pascale.soulard@artis-facta.com
ARTIS FACTA - Ingénierie des Facteurs Humains
51, rue de l'Amiral Mouchez - 75013 PARIS
Tél : +33 1 43 13 32 33 - Fax : +33 1 43 13 32 39 *
et
Noëlle Divot-Haguenauer, INSEE, Paris
paru dans les actes du XXVI ème Congrès de la Société
d'Ergonomie de Langue Française (SELF), Montréal.
Résumé
L'objectif de cette communication est, au travers de l'analyse critique d'une intervention, d'identifier les transformations et de les examiner, en regard :
- de la conduite de l'intervention, et en particulier des évolutions significatives de la demande suite aux résultats du diagnostic des conditions de travail des enquêteurs,
- de l'INSEE, à l'initiative de la demande, de son fonctionnement et des impacts émergeant de cette intervention,
- de la démarche des consultants et du point de vue des ergonomes internes à l'INSEE, dans un objectif de capitalisation.
Au travers de la formalisation des difficultés rencontrées au cours de l'intervention, il sera possible de conclure sur les apports méthodologiques de cette analyse réalisée a posteriori et d'ouvrir le débat sur l'importance des relais internes aux entreprises dans le cas du passage de l'utilisation d'un système à l'organisation de la conception de ce système. Quels enjeux pour les ergonomes internes ou externes à la structure, et surtout pour le fonctionnement de l'organisation ?
Mots clés : travailleurs atypiques, conditions de travail, informatisation.
HOW MATERIALS TRANSFORMATIONS CAN QUESTION THE ORGANIZATION : EXPERIENCE OF AN ERGONOMIC INTERVENTION WITH INSEE INVESTIGATORS
The goal of the intervention is to analyse, through out an intervention dealing with working conditions of INSEE investigators, following points :
- the progress of the intervention from the first request to a new problematic due to the significative evolution of the request after the diagnosis,
- the results's impact on the organization,
- the
collaboration between INSEE ergonomists and consultants, each other's job, and the means to develop partnership and capitalization.
The formalization of the main difficulties which accured during the intervention allowed us to conclude some methodological lessons, on the importance of collaboration between internal society ergonomists and external consultants and to come up with questions relative to the society's organization in this particular context.
Keywords : atypic workers, working conditions, computerization.
Les caractéristiques et les évolutions de l'intervention
L'identification des enjeux
La demande d'intervention, relayée par les organisations syndicales de l'INSEE, a mis plusieurs mois pour se traduire par un appel d'offre. Celui-ci portait sur les conditions de travail des enquêteurs, essentiellement sur des questions d'outil de travail, puisque les premières plaintes portaient sur le poids de l'ordinateur portable qui est utilisé par les enquêteurs au cours des enquêtes à domicile.
Une première analyse de la demande a permis de mettre en évidence le fait qu'au-delà des aspects, certes importants, de poids de l'outil utilisé par les enquêteurs, les revendications des instances représentatives du personnel comportaient également une dimension sociale, à savoir la reconnaissance du travail des enquêteurs.
Par ailleurs, et pour revenir à des questions matérielles, les outils logiciels utilisés étaient également critiqués concernant leur homogénéité et l'évolution en cours devait être intégrée.
Ce souhait d'élargir la question sur une problématique large : technique, logicielle et sociale a été retenue et l'intervention a débuté en janvier 2000.
Les évolutions au cours de l'intervention : le choix de réunir un groupe de travail sur un domaine jugé de moindre importance
La démarche mise en œuvre s'est appuyée sur deux grandes phases :
- un diagnostic des conditions de travail des enquêteurs, réalisé sur la base d'observations des enquêtes à domicile suivies d'entretiens, dans plusieurs régions de France. Le choix des situations d'observation a été effectué au cours d'une réunion du comité de pilotage, instance créée pour le projet et qui allait suivre le déroulement de l'intervention. La méthodologie habituellement préconisée a été appliquée, à savoir la validation des observations par des comptes-rendus individuels avant toute mise en circulation des résultats.
- une phase d'élaboration de solutions impliquant un groupe de travail composé de représentants des enquêteurs, de concepteurs des enquêtes informatisées, d'informaticiens, des ergonomes internes à l'INSEE et des intervenants.
Notons qu'il était entendu que l'effort consacré au diagnostic était sensiblement plus élevé que celui consacré à l'élaboration de solutions. Ce choix a essentiellement été guidé par le nombre important d'enquêteurs (environ un millier) et la grande variabilité des situations de travail qu'il fallait, sans prétendre à l'exhaustivité, pouvoir appréhender selon plusieurs aspects.
Plusieurs éléments ont été mis en exergue au cours du diagnostic et présentés au comité de pilotage, dont :
- le professionnalisme indéniable des enquêteurs, particulièrement nécessaire au cours des phases de repérage des logements et d'approche des enquêtés.
- des déficiences dans les protocoles de conception des enquêtes qui de surcroît sont testés de manière tout à fait hétérogène.
- l'existence d'un collectif de travail entre les enquêteurs, informel, et la mise au point de documents personnels pour améliorer l'efficacité du travail.
En réalité, les enquêteurs mènent à bien les enquêtes malgré un écart important à gérer entre un outil, le logiciel accueillant les enquêtes informatisées, et les enquêtés dont les réponses, imprécises ou incomplètes, ne sont pas en adéquation avec l'outil et impliquent des stratégies souvent incomprises des concepteurs des enquêtes. A noter également les conditions d'insécurité croissantes auxquelles ils doivent faire face au quotidien et un statut particulier qui ne facilite pas les échanges et la communication avec le personnel de l'INSEE.
En regard de ce diagnostic, trois axes d'amélioration ont été proposés, mais un seul devait faire l'objet du groupe de travail de la seconde phase :
- l'analyse et l'optimisation du processus de conception des enquêtes,
- l'ergonomie de l'interface logicielle,
- les tests des enquêtes informatisées.
A priori, et compte tenu des résultats du diagnostic, l'élément le plus défavorisant dans les conditions de travail des enquêteurs semblait lié à la conception même des enquêtes informatisées.
Cependant, il a été décidé par le comité de pilotage que le groupe de travail se centrerait sur l'interface logicielle, dans le but de ne pas initier une action que nous ne serions plus en mesure d'animer faute de temps et de moyens.
A posteriori cette décision interroge quant à la méthodologie à employer dans ce cas précis. Lorsqu'un diagnostic interroge le fonctionnement de l'organisation elle-même, à savoir le travail des concepteurs, mais que le temps de présence des consultants au sein de l'organisation n'est pas suffisant, que convient-il de faire ? Initier la dynamique autour d'un groupe de travail et laisser aux ergonomes internes le soin de poursuivre la réflexion ? Dans le cas présent, compte tenu du caractère très sensible de cette intervention , il a semblé préférable d'utiliser les disponibilités du contrat pour s'intéresser au traitement d'une question de moindre sensibilité.
Ainsi, un groupe de travail s'est réuni autour du thème de l'ergonomie de l'interface et a produit un corps de recommandations dans le cadre du contrat.
De la facilité d'usage des enquêtes informatisées à l'organisation de la conception des enquêtes.
Finalement, un avenant au contrat portant sur la conception des enquêtes et visant à éclairer le diagnostic des conditions de travail des enquêteurs a été conclu. Au travers d'entretiens avec les concepteurs, il s'agissait de recueillir leur point de vue sur les enquêtes informatisées, de comprendre les méthodes de conception et de mettre en relation les difficultés rencontrées à la fois par les concepteurs mais aussi par les enquêteurs.
Cette nouvelle phase a permis de mettre en évidence les éléments suivants :
- la nature et les conditions de travail de conception reposent avant tout sur des relations interpersonnelles,
- l'organisation de la conception repose sur un circuit complexe, rendant les interlocuteurs difficiles à identifier. Par ailleurs, les projets sont relativement cloisonnés ce qui limite également les échanges entre les concepteurs,
- le sentiment d'un déficit de méthode de conception est partagé et compensé par un réseau de correspondants et des astuces capitalisées individuellement, (absence de support méthodologique, de "guide du concepteur"),
- l'importance des tests des enquêtes pour les concepteurs, car, malgré des contraintes temporelles et une charge de travail fortes, ils sont l'occasion d'une rencontre avec le terrain.
- la qualité de la communication entre les concepteurs mais aussi entre les Directions Régionales, nécessaire pour la transmission d'informations, mais également comme support de la construction des relations interpersonnelles dans un contexte structuré,
Ainsi, l'absence de support méthodologique, d'espace d'échanges formalisés entre les concepteurs et un déficit de communication conduisent-ils les concepteurs à gérer comme ils le peuvent la conception d'une enquête. Avec, entre autres, des conséquences non négligeables sur l'utilisation des supports d'enquêtes par les utilisateurs.
Des pistes de réflexions ont émergé de cette nouvelle analyse, tournant autour de 4 axes :
- l'amélioration de la communication entre enquêteurs, Direction Régionale, concepteurs, statisticiens, informaticiens, etc.
- la mise au point d'un guide méthodologique à destination des concepteurs,
- une réflexion sur la rédaction d'un protocole de test,
- l'intérêt de renforcer la formation des gestionnaires.
Interroger le fonctionnement de l'organisation : les enjeux, les risques
Parmi les transformations issues de l'intervention, nous en retenons plusieurs points :
- La prise en compte de la réalité du travail des enquêteurs, de leurs difficultés, des stratégies mises en œuvre pour exploiter les supports des enquêtes, l'existence d'un collectif de travail, ont permis de "faire émerger" les composantes du métier d'enquêteur pour toutes les personnes de l'INSEE qui ne sont pas en contact avec le terrain.
- La mise en mouvement de l'organisation et l'engagement de réflexions. Des groupes de travail qui étaient en projet ont été créés suite au diagnostic (groupe de travail sur les tests) et la remise en cause du processus de conception constitue en tant que telle une transformation des situations de travail.
Cependant, il est important de rappeler que l'une des conclusions pressentie lors du diagnostic, à savoir l'existence de dysfonctionnements au niveau de la conception des enquêtes informatisées, a été confirmée par les interviews des concepteurs dans la 2nde phase de l'étude.
La remise en cause du processus de conception des enquêtes soulève les questions suivantes :
- Quels sont les impacts sur l'organisation de l'intervention ? Initialement centrée sur les questions matérielles et au final orientée vers l'organisation du processus de conception, l'intervention, ainsi que les recommandations qui en découlent peuvent-elles être prises en compte et donner lieu à des actions sur le long terme ? De quelle manière faire perdurer la dynamique initiée au cours de la démarche ?
- Les concepteurs, non demandeurs de l'étude, dont la démarche (davantage de temps a été passé auprès des enquêteurs) et les conclusions ont dans un 1er temps été froidement accueillies, ont-ils été sensibilisés par les problèmes mentionnés ? Leur présence dans certains groupes de travail semble le démontrer, mais cependant sans certitude.
- Il s'avère nécessaire de mettre en place un accompagnement dans la recherche de solutions d'amélioration. Les modalités de cet accompagnement restent à définir : peut-il être réalisé par les ergonomes de l'INSEE ? Le concours d'ergonomes externes est-il nécessaire pour garantir la neutralité et favoriser la prise de recul ?
A ce titre, le relais par les ergonomes en interne semble primordial. Rappelons leur rôle initial dans la rédaction de l'appel d'offres, notamment pour ce qui concerne la reformulation de la demande ainsi que son élargissement (prise en compte de la situation de travail dans son ensemble, sensibilisation des ergonomes externes à la revendication des organisations syndicales concernant la reconnaissance du travail des enquêteurs…). Mentionnons également leurs actions pour faciliter l'intervention auprès des concepteurs d'enquêtes (contacts individuels en vue d'expliquer avec les mots de l'Insee l'objectif de l'étude, le contenu du diagnostic et la nécessité de collaborer pour construire des solutions), pour valider les documents de travail et intervenir en tant que médiateur entre les intervenants et les responsables des services d'enquête (Concepteurs de la Direction Générale et Chefs de Département Enquêtes Ménages au sein des Directions Régionales).
Par ailleurs, un premier travail des ergonomes internes a été de faire accepter celui des ergonomes externes lorsqu'il est apparu, au cours de la présentation des premiers résultats que l'acception des termes " conditions de travail " n'était pas la même pour l'ensemble des ergonomes et pour l'unité responsable des enquêtes.
Face aux risques pour l'organisation liés à la remise en cause du processus de conception, (à savoir un éventuel renforcement du clivage entre concepteurs - dont les méthodes sont contestées - et enquêteurs, une démotivation des concepteurs, etc.), il convient de souligner l'importance de la communication sur l'intervention, (concernant son déroulement, ses recommandations) relayée par les ergonomes en interne et les instances représentatives du personnel.
L'espace de communication ainsi créé permet d'échanger également avec les intervenants, tant sur la pratique que sur la méthodologie mise en œuvre afin de capitaliser et de renforcer les synergies entre les ergonomes internes et externes.
Comme le souligne M. Noulin (1) [dès lors qu'elle intervient avec la volonté affirmée de changer le travail, l'ergonomie prétend à une fonction de régulation sociale.]…[ Elle ne se contente pas d'instruire des choix, elle vise à orienter les décisions et se présente comme une politique de développement].
Dans cette intervention où la dimension sociale était présente dès la demande et sous-jacente tout au long de l'intervention, les recommandations ont été orientées vers la reconnaissance d'un métier et la recherche d'un compromis entre les contraintes de conception des enquêtes et les besoins des enquêteurs.
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REFERENCES
- Noulin M. (1993, septembre). Ergonomie : action humanitaire ou politique de développement ?. In Performances Humaines et Techniques, septembre 1993, hors série pp 19-22.
- Daniellou F., Six F. (2000, mars). Les ergonomes, les prescripteurs et les prescriptions. In Les journées de Bordeaux sur la Pratique de l'Ergonomie, mars 2000, pp 2-21.
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